A lExposition de Genève
IX
Raoul Pictet et le Pavillon Pictet
RAOUL PICTET est né à Genève en 1846. A lâge de 18 ans, il terminait ses études à lAcadémie de cette ville, et publiait des mémoires sur la vision et sur la résistance de lair, il fut reçu, quoique étranger, comme élève à lEcole polytechnique de Paris. Grâce à la passion du travail qui le caractérise, il réussit à faire en même temps des études variées au Collège de France
et à la Sorbonne. Bientôt mis en vue par de nouvelles publications, il devint lami des grands maîtres de la Science française: Würtz, J.-B. Dumas, Regnault, Quatrefages, Milne Edwards, Claude Bernard, etc. Cest à cette époque que lAcadémie des sciences de Saint-Pétersbourg couronna ses découvertes sur la vision et lui fit loffre de publier in extenso tous ses travaux. Après trois années employées à de nombreuses recherches sur la thermodynamique et à de longs voyages, R. Pictet revint à Genève.
Le jeune savant saffirmait tous les jours davantage dans les sciences, Il entrait dans sa vingt-cinquième année lorsque le vice-roi dEgypte le chargea de fonder lenseignement de la physique expérimentale à lEcole supérieure du Caire. Grâce a ses remarquables facultés pour toute chose, trois mois plus tard R. Pictet professait en langue arabe. Pendant les trois années quil passa en Egypte, il publia de très intéressantes observations sur les phénomènes atmosphériques du désert, les actions solaires, les trombes de poussière, ainsi que sur la température et les crues du Nil il fit de grandes chasses dans lintérieur du pays et contribua à rassembler les splendides collections des musées du Caire et de Naples.
Frappé de limpuissance à guérir les morsures des reptiles si nombreux en Egypte, il étudia laction physiologique du venin des serpents; il en eut même à un certain moment quatre cents des plus dangereux sur la terrasse de sa maison. Cette demeure devint un objet dépouvante et les indigènes parlent encore avec un enthousiasme touchant du <savant de Genève qui, au péril
de ses jours, cherchait un moyen de combattre les effets de ces terribles morsures.
En 1874, R. Pictet fut appelé à Genève pour y enseigner la physique et les mathématiques, car il est aussi un mathématicien de premier ordre. Il accepta aussitôt les offres faites et vint une seconde fois se fixer dans sa ville natale. Alors il perfectionna ses machines à glace, qui fonctionnent actuellement dans tous les pays. Il imagina ensuite un procédé pour créer en nimporte quelle saison des étangs de glace artificielle, il fut immédiatement appelé à Londres, Manchester, Stouthport, et y construisit les premiers (Skating Rinks> qui ont existé. Il est impossible depuis cette époque danalyser les nombreuses découvertes qui ont porté partout la renommée de notre concitoyen. Le 22 décembre 1877, il liquéfiait loxygène au moyen dappareils de son invention; plusieurs professeurs de Genève assistaient à ses expériences. Le 27 du même mois, quelques physiciens, entre autres léminent professeur Hagenbach de Râle, vinrent à Genève pour voir le nouveau gaz liquéfié. Cette date du samedi 22 décembre 1877 est restée lune des plus célèbres dans la science, car, ce jour-là, la théorie généralement admise des gaz permanents a été renversée et le champ immense des recherches aux très basses températures a été ouvert. Le télégramme adressé à lAcadémie des sciences arriva à Paris le samedi soir. Le lundi suivant, les académiciens se réunirent. Après avoir pris connaissance de la découverte de R. Pictet, Saint - Claire Deville déclara que Cailletet avait liquéfié loxygène déjà vingt jours auparavant, mais ne lavait pas annoncé pour des raisons personnelles. Certains journaux français prétendirent que R. Pictet avait surpris les expériences de Cailletet à Paris et était venu les refaire à Genève. Une triste polémique sengagea alors dans les organes politiques quotidiens. Cependant la différence des méthodes suivies et des appareils employés par les deux savants était telle que Cailletet, tout le premier, protesta et se lia avec notre concitoyen dune étroite amitié qui dure encore. Lillustre chimiste Regnault, quoique très malade, se rendit à lAcadémie des sciences pour déclarer que R. Pictet lui avait déjà fait part en 1872 de cette méthode restée classique sous le nom de « procédé des refroidissements successifs> et que seuls les événements et les ressources matérielles rayaient empêché dexpérimenter cinq ans plus tôt. Ce furent les derniers mots que le maître prononça en public; on le reporta chez lui et il mourut peu de temps après.
Justice fut enfin rendue; tous les journaux qui avaient attaqué R. Pictet publièrent une élogieuse rétractation. Il reçut alors la décoration de la légion dhonneur.
A cette époque il se livra avec M. Gustave Cellérier, à peu près sans interruption pendant dix-huit mois, à lun des calculs les plus longs et les plus difficiles de la théorie mécanique de la chaleur. La fatigue quil en éprouva fut telle quil perdit loeil gauche et resta un an entre la vie et la mort.
Lorsquil fut rétabli, il reprit ses cours, mais, en 1880, il quittait le sol natal pour établir à Berlin un laboratoire qui na cessé dattirer lattention du monde savant par les nombreuses découvertes qui sy sont succédé.
Les basses températures que Pictet obtint là pour la première fois, avec la puissance perçue par lui, le mirent à même de créer un champ dinvestigation où la physique et la chimie moderne ont trouvé et acquerront encore dimportants et précieux renseignements.
R. Pictet a produit dès lors dinnombrables travaux publiés par toutes les grandes académies; il aborde, avec la même hauteur de vues et le même succès, la physique, la chimie, la biologie et la médecine.
Ses communications lui ont valu les marques de distinction les plus flatteuses. Les villes dAn-vers et de Rome lui décernèrent des diplômes et des médailles dhonneur. En 1895, la Société industrielle du Nord de la France lui accorda sa grande médaille dor à Lille,
La Suisse est, à juste titre, fière de cet enfant qui, chez elle ou sur la terre étrangère, a réussi, par ses rares facultés et son immense labeur, à jeter sur elle un vif rayon de gloire. Aussi a-t-elle été heureuse de voir la collaboration de ce grand savant assurée pour la fête nationale où toutes les forces intellectuelles de notre petit pays seront mises à contribution.
Le Comité de notre Exposition, comprenant lintérêt que pourrait avoir une démonstration expérimentale des dernières inventions de Pictet, le sollicita dentreprendre la création dun pavillon personnel où toutes les applications du froid seraient mises sous les yeux du public.
R. Pictet accepta cette proposition avec empressement et sassura le concours dun de ses anciens élèves, M. Paul Galopin, jeune savant qui sest fait connaître dans le monde scientifique par ses travaux et ses découvertes sur la compression et les compresseurs.
Le Pavillon Pictet est dune conception originale, et il fera époque dans la thermodynamique, science de lénergie et de la chaleur.
Les forces naturelles du Rhône seront employées par lintermédiaire de lélectricité au fonctionnement de compresseurs qui permettront datteindre, par la liquéfaction de certains gaz, des températures inaccessibles avant linvention du dispositif Pictet.
Les plus grandes maisons suisses: Burckhardt, Escher-Wyss, Sulzer, la Société de lindustrie électrique à Genève, ont tenu à prêter leur concours à M. Pictet pour lexécution de son grand projet. Les machines les plus perfectionnées seront mises à sa disposition pour contribuer, chacune dans sa spécialité, à lharmonie parfaite dune manifestation industrielle et scientifique de premier ordre.
Lindustrie ne peut revendiquer toute seule lhonneur du Pavillon Pictet. La finance genevoise na pas voulu rester en arrière et a tenu dans sa sphère à apporter largement son concours à cette oeuvre. Une association sest constituée et le Comité de direction composé de MM. Henri Aubert, Alfred Cartier, Paul Galopin, Marc Jacquet, est chargé dadministrer les fonds nécessaires à la construction du Pavillon.
Nous plaçons sous les yeux de nos lecteurs la façade de ce grand bâtiment qui se composera de trois parties: salle des machines, amphithéâtre de 500 places et bar,
M. Peyrot, architecte, est chargé de létude et de la construction du bâtiment.
Un article spécial, demandé à une plume particulièrement qualifiée, sera consacré à la description complète du Pavillon.
Il nest personne qui ne souhaite à cette entreprise un succès digne du nom quelle porte, ainsi que de tous les efforts et de tous les appuis quelle a suscités à Genève.
F. Dussaud. |