La Frigotherapie
au Pavillon Raoul Pictet
Dans quelle mesure un changement brusque de la température du milieu ambiant peut-il influencer notre état physiologique et quel parti thérapeutique peut-on tirer des modifications survenues? Telle est la double question que M. Raoul Pictet, assisté de deux savants médecins, MM. les Drs Chossat et Cordès, est en train détudier au moyen de ses vastes puits frigorifiques. Les résultats en seront publiés plus tard, mais il est dès maintenant intéressant de constater que, si les effets dun froid intense ne sont pas absolument concordants sur les affections de lestomac, ils présentent une parfaite uniformité sur le coeur et lappareil respiratoire.
Chose curieuse, le premier résultat de lapplication dun froid de -110° sur un animal à sang chaud, chien ou homme, peu importe, est de faire monter la température de son corps de quelques dixièmes de degré, daccélérer les pulsations de ses artères et ses mouvements de respiration. Lorganisme subitement assailli par une très basse température se défend donc automatiquement en brûlant davantage ses tissus, de la même façon que nous consommons plus de bois dans nos fourneaux, lorsquil fait très froid en hiver.
Au cours de lune de ses conférences sur lapplication du froid en biologie, M. Raoul Pictet nous a exposé dune façon saisissante les phases par lesquelles passe un chien avant de mourir de froid. Lanimal, de taille moyenne, fort et robuste, est descendu dans le puits à la température de 100 degrés au-dessous de zéro. Aussitôt il se met en état de défense. Sa respiration saccélère, le nombre des pulsations cardiaques augmente, le chien mange avec avidité des aliments quil refusait tout à lheure, on dirait quil sent quil doit se pourvoir de combustible. La plus grande absorption doxygène a pour conséquence à peu près immédiate de faire monter sa température, ainsi quen témoigne lascension du thermomètre quon lui a préalablement placé au pli de laine.
Au bout de dix minutes sa température sest élevée dun demi-degré. Mais, si lon prolonge lexpérience quelques minutes encore, le combat entre la machine vivante qui cherche à compenser le refroidissement dû au rayonnement de sa chaleur et le froid excessif qui lenveloppe, devient par trop inégal; la débâcle commence. Ce sont les extrémités qui sont les premières atteintes. Le chien sacrifie ce qui lui est le moins nécessaire, pour concentrer son activité vitale sur les organes essentiels. Le coeur continue à battre très fort, alors que les pattes sont déjà irrémédiablement perdues. Le thermomètre descend, il revient à la température normale de 37°, puis, peu à peu, il sabaisse au-dessous de cette température. Une heure plus tard, il ne marque plus que 22°; lanimal peut dès lors être considéré comme mort; aucun soin ne pourra plus le ramener à la vie, il a, pour ainsi dire, épuisé ses munitions de guerre et se trouve soumis aux lois qui président au refroidissement des corps bruts.
On conçoit quinstruits par cette expérience, que M. Pictet a contrôlée sur des animaux despèces diverses, les médecins ne laissent pas séjourner dans le puits au-delà dun quart dheure les personnes curieuses déprouver un froid beaucoup plus grand que ceux des régions polaires. Jai passé, lautre jour, douze minutes dans le cylindre à double paroi, où lon obtient, par la détente de gaz préalablement liquéfiés, une température de -105°; la première sensation nest nullement désagréable, cest une fraîcheur exquise au contraire. Pourtant, lorsque le thermomètre placé sous ma langue eut cessé de monter et que laccélération de mon pouls commença à faiblir, je maperçus que javais grand froid aux pieds et au bout des doigts; alors on me retira et, quelques instants plus tard, il ne me restait plus comme souvenir de lexpérience quun fort appétit et un peu dengourdissement dans les jambes. Il est à présumer, par conséquent, que quelques visites aux puits de M. Pictet pourraient rendre lappétit à ceux qui lont perdu. Mais attendons, avant den dire davantage, que lenquête très sérieuse de MM. Chossat et Cordés soit achevée. E. Y. |