Raoul Pictet - Exposition Nationale Suisse Genève 1896

Journal Officiel Illustré De L'Exposition Nationale Suisse Genève 1896
No 14 - 15 Avril 1896 (part 2)

Plan de Distribution du Pavillon Raoul Pictet par M. A. Peyrot, Architecte
Ref. Journal Officiel Illustré De L'Exposition Nationale Suisse Genève 1896 - No 14 - 15 Avril 1896 -- page 158

 

Plan de Distribution du Pavillon Raoul Pictet par M. A. Peyrot, Architecte (detail)
Ref. Journal Officiel Illustré De L'Exposition Nationale Suisse Genève 1896 - No 14 - 15 Avril 1896 -- page 158

 

l’obligeance de Mme de Helmholtz qui nous l’a confié).
A partir de cette date (1846), la thermodynamique se trouve entrer dans les hypothèses vérifiées et on sent que l’industrie va utiliser ces résultats si féconds. En effet, les machines à vapeur, les moteurs à air chaud et surtout les machines frigorifiques font leur apparition, construites sur des principes tout autres que ceux que l’ancienne pratique ignorante avait acceptés.
C’est dans cette éclosion industrielle de toutes les machines, filles légitimes de conceptions intellectuelles justes, qu’éclate avec puissance la réforme scientifique dont la théorie mécanique de la chaleur est la véritable mère.
C’est une vraie révélation industrielle à laquelle nous assistons.
Nous pouvons dire, sans aucune trace d’exagération, que la bonne moitié des machines construites pour la satisfaction immédiate des besoins de notre civilisation contemporaine sont nées des principes solides établis par ce courant d’idées. Machines motrices, machines frigorifiques, utilisation de l’air comprimé, percement des grands tunnels, toute la thermo-chimie, etc., etc., sont tributaires du travail cérébral dont nos illustres Genevois de la fin du siècle passé ont été les promoteurs.
Notre petit pays a une agriculture bien réduite, une industrie faible comparativement à nos puissants voisins; elle n’a pas de mines riches, mais ce qu’elle a, elle doit le montrer dans cette belle exposition qui va s’ouvrir dans quelques jours.
Elle a une histoire.
Elle a eu de tout temps des citoyens qu’une vie de luttes dans les pays voisins a chassés et que notre sol hospitalier a recueillis.
Ils ont apporté avec eux des traditions de travail, d’énergie, de méditation.
N’oublions pas que le XVme et le XVIme siècles ont écremé en faveur de Genève toutes les têtes qui n’aimaient pas à se courber devant les lois de l’Eglise alors toute puissante, ni devant les tyrans qui malmenaient la pensée.
Réfugiés politiques, réfugiés pour motif de religion, réfugiés pour pouvoir garder leur liberté de conscience, tous ces penseurs ont été nos vrais Genevois du bon vieux temps.
Ils se sont groupés sous les clochers de St-Pierre et ont lancé du haut de notre petite forteresse les écrits qui ont parcouru l’Europe d’alors comme des pétards d’alarme.
C’est à leurs descendants que nous offrons le résumé des travaux qui ont spécialement illustré la réforme scientifique.
Notre Pavillon présentera donc trois sections répondant aux trois pensées qui se trouvent toujours réunies dans toutes les étapes de la vie industrielle
1° L’Amphithéâtré. Nous recevons dans ce local, bien aéré, bien ventilé, où il fait frais, même pendant les jours les plus chauds de l’année, le public désireux d’entendre développer l’histoire de la thermodynamique.
Puis comme des savants de tous pays et de toutes les spécialités viendront cet été à Genève, la chaire leur sera ouverte et nous entendrons des communications, des conférences sur les sujets les plus variés.
2° La Salle, dés machines. Il faut appliquer les lois de la théorie mécanique de la chaleur!
Les machines sont là, elles fonctionneront devant le public.
Nous montrerons la fabrication de la glace, les blocs sortant d’une grande cuve capable d’en contenir 17,000 kilogrammes à la fois. Des compresseurs comprimeront et liquéfieront l’ammoniaque, d’autres un mélange d’acide sulfureux et d’acide carbonique, d’autres de l’air atmosphérique, d’autres encore de l’acétylène.
Tous ces compresseurs, fabriqués par les meilleures maisons de construction suisses, donneront au Pavillon le record de cette spécialité. Une chose me fait un grand plaisir: c’est pour la première fois en Europe que tous les fournisseurs de machines frigorifiques se donnent l’accolade courtoisement sous un même toit. Ils ont vécu jusqu’à ce jour comme chien et chat, se dénigrant et se regardant de travers, aujourd’hui ils fraternisent.
Nous avons la joie de les voir s’unir et venir tous à nous la main tendue et nous offrant ce qu’ils font de mieux pour notre exposition nationale. Bravo les constructeurs!
L’air atmosphérique sera liquéfié en grandes quantités et nous espérons le présenter chaque heure au public à raison de 20 à 30 kilogrammes sous forme d’un superbe liquide bleu.
Ces quantités n’ont rien d’exorbitant, étant donnée l’extrême rapidité avec laquelle ces liquides, qui entrent en ébullition à -213° (deux cent treize degrés au-dessous de zéro centigrade), s’évaporent sous l’action de la chaleur ambiante.
Nous avons trois cycles distincts dans la salle des machines:
Le premier fonctionne avec le mélange d’acide sulfureux et d’acide carbonique. Il permet d’atteindre -100° à -110°.
Le deuxième cycle fonctionne avec le protoxyde d’azote et donne la température très basse déjà de -160° à -165°.
Enfin le troisième cycle est constitué par la liquéfaction de l’air atmosphérique et permet d’atteindre les froids les plus extrêmes connus de -213°.
Outre ces trois cycles et la grande machine à glace exposée par MM. Sulzer frères, de Winterthur, nous aurons une jolie petite machine frigorifique à l’acide carbonique faite par la maison Escher, Wyss et Cie de Zurich.
La liquéfaction industrielle de l’acétylène complétera les appareils en fonctionnement.
3° Bar. Le public qui aura entendu, vu, examiné, sera fatigué; nous lui offrirons des rafraîchissements.
Dans un bar, espèce de restaurant où les promeneurs trouveront ce qu’ils désirent, nous présenterons à titre de spécialités tout ce que l’industrie du froid appliquée aux comestibles peut offrir d’intéressant et de nouveau.
Les Américains, les Italiens nous ont envoyé des recettes exquises pour la confection des boissons froides, gelées, frappées.
Les amateurs trouveront du cognac gelé, buvable très au-dessous de zéro, quand il dégèle.
Un jet d’eau retombera en gerbes fines sur un bloc de glace perpétuel, qui ne fondra pas malgré le soleil. Ce bloc de glace est maintenu solide par une circulation d’eau salée à basse température.
La ventilation sera méthodiquement organisée aussi bien dans l’amphithéâtre que dans la salle des machines.
La température sera ainsi maintenue entre 18° et 20°, malgré la présence du public. Il fera bon, ni trop frais, ni trop chaud.
Voilà le plan, le but et notre programme dans le Pavillon Raoul Pictet.
Si les circonstances nous sont favorables, je serai heureux de prouver à mes concitoyens que l’histoire de Genève, au point de vue scientifique, est appelée à tenir dignement sa place par le concours de toutes les bonnes volontés venues à Genève pour honorer la mère Patrie.
Vive Genève!

Raoul Pictet.

Raoul Pictet

[text 2/2] Ref. Journal Officiel Illustré De L'Exposition Nationale Suisse Genève 1896 - No 14 - 15 Avril 1896 -- page 157 à 159

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